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OTHON
FRIESZ
Un homme de
chez nous vient de mourir. Un peintre normand au regard de feu, les sourcils
froncés par l’attention, la prunelle fixée sur le sujet comme pour le
foudroyer. La main nerveuse tachant la toile comme des embruns attaquent une
digue. Non pas un tourmenté, mais un volontaire. Un homme de notre terre. Un de
ces terribles nordiques bruns.
Il était né
au Havre d’une famille d’armateurs voici près de soixante-dix ans et un peu de
cette fougue marine reste dans ses toiles. Fougue et non pas agitation. En lui
l’instinct et l’intelligence s’équilibraient parfaitement. Toujours attentif à
la nature, toujours guidé par la représentation personnelle qu’il s’en faisait.
Car, quoi
qu’il fasse, il reste lui même. Ses toiles du midi ne "ressemblent"
pas à ses toiles du nord, mais il ressent pourtant ces divers paysages à
travers sa sensibilité et sa volonté purement normandes.
Il fut de
la première équipe du "fauvisme", avec ceux qui peignaient en
"langue d’oïl" : Dufy son compatriote, le flamand Vlaminck, Matisse,
du Nord lui aussi... Il fut de ceux qui bouleversèrent l’impressionnisme et
découvrirent chez Cézanne les grandes lois de l’harmonie, de la composition.
Il se jeta
à contre-courant avec une telle vigueur, une telle impétuosité et un tel talent
qu’il ne tarda pas à devenir un des chefs de la nouvelle école.
Un des
"maîtres" contemporains.
Non pas un
de ceux qui peuvent être copiés, démarqués, mais dont il faut prendre exemple.
Son enseignement n’est pas une série de "trucs", de recettes, mais
une attitude devant la vie qui se retrouve dans ses toiles. Il allie "la
discipline nécessaire à la révolution justifiée".
Tout chez
lui fut vigueur, volonté. Mais cette rapidité n’est pas facilité, il ne perd
jamais pied et sait où l’emmènent ses tourbillons. Il n’a pas peur des
"hasards de palette", car il sait où il veut aller.
Ce fut
essentiellement un normand. Nous ne pouvons plus voir nos ports sous la pluie,
nos rades gorgées de barques de pêche, nos quais glissants, le ciel gris et la
mer verdâtre qu’à travers les images qu’il nous à laissées. Quand nous disons
Dieppe ou Honfleur, c’est à elles que nous pensons d’abord. A ces petits coins
de terre normande fixés pour l’avenir.
Othon
Friesz a transcrit fidèlement les images qui retinrent nos pères. Les ocres et
les verts dominent souvent sa palette et nous ramènent à la terre, aux vergers
entourés de prairies, aux îles de la Seine échouées au milieu du courant comme
des drakkars embossés, aux berges verdoyantes penchées sur le fleuve. Nul mieux
que lui n’a peint ce pays que nous avons su conquérir.
Et nul n’a
mieux peint nos filles, ocres comme la terre, solides et souriantes dans le
vert de toute la campagne.
La vieille
croyance scandinave mêlait les âmes des morts aux esprits de la nature. Othon
Friesz demeure aujourd’hui dans les couleurs de nos prairies et de nos cours
d’eau, dans le bouillonnement des nuages sombres et des vagues infatigables.
Dans le fracas de ce vent du nord qui souffle sur la mer au bord de laquelle il
est né et qui le garde à jamais.
J.M.