1 mars 1999

OTHON FRIESZ



‑ 23 ‑
OTHON FRIESZ
Un homme de chez nous vient de mourir. Un peintre normand au regard de feu, les sourcils froncés par l’attention, la prunelle fixée sur le sujet comme pour le foudroyer. La main nerveuse tachant la toile comme des embruns attaquent une digue. Non pas un tourmenté, mais un volontaire. Un homme de notre terre. Un de ces terribles nordiques bruns.
Il était né au Havre d’une famille d’armateurs voici près de soixante-dix ans et un peu de cette fougue marine reste dans ses toiles. Fougue et non pas agitation. En lui l’instinct et l’intelligence s’équilibraient parfaitement. Toujours attentif à la nature, toujours guidé par la représentation personnelle qu’il s’en faisait.
Car, quoi qu’il fasse, il reste lui même. Ses toiles du midi ne "ressemblent" pas à ses toiles du nord, mais il ressent pourtant ces divers paysages à travers sa sensibilité et sa volonté purement normandes.
Il fut de la première équipe du "fauvisme", avec ceux qui peignaient en "langue d’oïl" : Dufy son compatriote, le flamand Vlaminck, Matisse, du Nord lui aussi... Il fut de ceux qui bouleversèrent l’impressionnisme et découvrirent chez Cézanne les grandes lois de l’harmonie, de la composition.
Il se jeta à contre-courant avec une telle vigueur, une telle impétuosité et un tel talent qu’il ne tarda pas à devenir un des chefs de la nouvelle école.
Un des "maîtres" contemporains.
Non pas un de ceux qui peuvent être copiés, démarqués, mais dont il faut prendre exemple. Son enseignement n’est pas une série de "trucs", de recettes, mais une attitude devant la vie qui se retrouve dans ses toiles. Il allie "la discipline nécessaire à la révolution justifiée".
Tout chez lui fut vigueur, volonté. Mais cette rapidité n’est pas facilité, il ne perd jamais pied et sait où l’emmènent ses tourbillons. Il n’a pas peur des "hasards de palette", car il sait où il veut aller.
Ce fut essentiellement un normand. Nous ne pouvons plus voir nos ports sous la pluie, nos rades gorgées de barques de pêche, nos quais glissants, le ciel gris et la mer verdâtre qu’à travers les images qu’il nous à laissées. Quand nous disons Dieppe ou Honfleur, c’est à elles que nous pensons d’abord. A ces petits coins de terre normande fixés pour l’avenir.
Othon Friesz a transcrit fidèlement les images qui retinrent nos pères. Les ocres et les verts dominent souvent sa palette et nous ramènent à la terre, aux vergers entourés de prairies, aux îles de la Seine échouées au milieu du courant comme des drakkars embossés, aux berges verdoyantes penchées sur le fleuve. Nul mieux que lui n’a peint ce pays que nous avons su conquérir.
Et nul n’a mieux peint nos filles, ocres comme la terre, solides et souriantes dans le vert de toute la campagne.
La vieille croyance scandinave mêlait les âmes des morts aux esprits de la nature. Othon Friesz demeure aujourd’hui dans les couleurs de nos prairies et de nos cours d’eau, dans le bouillonnement des nuages sombres et des vagues infatigables. Dans le fracas de ce vent du nord qui souffle sur la mer au bord de laquelle il est né et qui le garde à jamais.
J.M.