1 mars 1999

ART DE LA JEUNESSE



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ART DE LA JEUNESSE
Cette série d’articles est destinée à servir de point de départ "doctrinal" à un atelier d’art régional que nous espérons voir un jour se créer en Normandie.
Mais par delà notre province ce message n’atteint il pas tous les étudiants d’art ?
C’est pourquoi nous n’aborderons le problème purement régional qu’en conclusion de cette étude.
Cette chronique n’est pas un cours d’esthétique empaillé "à l’usage de la jeunesse" par quelques théoriciens aussi gâteux que distingués.
Elle n’a pas pour but d’imposer un dogme de l’art moderne, elle cherche simplement à résoudre des problèmes urgents.
Un étudiant d’art s’adresse à ses camarades et cherche quelques unes des conditions techniques ou spirituelles de l’art de demain.
Ces notes resteront peut-être parmi les étapes où la jeune génération artistique reprendra souffle et courage avant d’inlassablement chercher dans le plus dur des rocs les multiples profils de l’art d’aujourd’hui.
"VIKING"
L’art s’enfonçant chaque jour un peu plus au coeur de notre vie pénètre le corps du monde moderne par toutes les veines des formes, par toutes les artères des couleurs. Et ce sang sans cesse renouvelé reste peut ‑ être le seul signe extérieur de la vie. Nous sentons qu’entre le monde des cathédrales et le monde des usines il y a tout un abîme ‑ patiemment préparé depuis la renaissance. L’art peut aussi nous guider au dessus et par delà cet abîme. L’art n’a plus de fin en soi ; il n’en a d’ailleurs jamais eu, hors de quelques manuels d’esthétique.
L’art aujourd’hui a une mission.
L’artiste n’est plus ce jeune révolutionnaire romantique à cheveux longs et à gilet rouge installé dans sa tour d’ivoire comme dans un fromage. L’artiste n’est plus ce bohème pour qui la crasse tient lieu de génie et la peinture de négoce. L’artiste n’est plus MOI-homme ; il est d’abord moi-CREATEUR.
L’artiste est aujourd’hui un messager.
Ce n’est pas un monsieur travaillant "parce que ça lui fait plaisir". L’art n’est pas un passe-temps, et le peintre du dimanche n’est pas plus un artiste que son confrère le pêcheur à la ligne.
Le but de l’art est une élévation de l’homme.
En transformant un bloc de pierre en statue, le sculpteur nous donne un exemple. Son oeuvre doit respirer un tel essor que ceux qui la regardent soient, par quelque phénomène de mimétisme, transformés à leur tour et deviennent semblables à cette image de pierre dressée vers le ciel de tout l’élan de ses muscles de marbre.
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Le premier problème de l’art moderne est donc un problème humain. Là comme partout ailleurs il faut créer ‑ où plutôt retrouver ‑ le vrai visage de l’homme. L’artiste n’est pas un homme comme les autres, mais ce n’est pas non plus un homme à part, hors du monde. L’artiste a son rôle dans la société. Il participe à la hiérarchie de la cité et le don qui est à la base de son travail créateur lui impose des devoirs.
D’abord prenons conscience de la puissance et de la force de notre métier.
Ensuite considérons notre travail comme une mission envers tous ceux qui attendent de nous un message d’espoir.
Alors seulement nous pourrons et délimiter la place de l’art dans la vie moderne et chercher les facteurs essentiels d’une renaissance ‑ ou d’une continuité ‑ de l’art national.
L’ART MODERNE A LA RECHERCHE DE SON ESPACE VITAL.
La première manifestation de l’art moderne est son irrésistible besoin d’expression. C’est une caractéristique de notre époque. Chaque phénomène aspire à la totalité et veut devenir la panacée universelle, le médicament pour toutes les bourses et à toutes les sauces. Aujourd’hui, il faut bien l’avouer, nous n’allons plus vers l’art, c’est lui qui vient à nous ; l’art ou sa caricature.
L’art aussi est descendu dans la rue.
On ne cache plus les chefs d’œuvre ; on les promène de ville en ville, de continent en continent ; les musées se transforment en convois automobiles ; l’Europe exporte des tableaux au même rythme qu’elle reçoit des tracteurs agricoles.
L’art s’impose chaque jour davantage ; la renaissance de certains métiers artisanaux alliée à un développement considérable des techniques jette de plus en plus d’ouvriers valables et d’horreurs sur le marché. Dans le perpétuel échange de l’art utilitaire (ou de l’utile artistique) c’est encore la même vitalité, témoin de la volonté de recherche des artistes soucieux de mettre partout leur grain de sel et leurs taches de couleurs.
La grande expérience du XX° siècle à été d’ouvrir les portes des musées où les toiles prenaient la poussière depuis quelques siècles ; l’art est fait pour être vu et non pour être conservé. Il ne s’agit pas de provoquer l’admiration des touristes de l’an 3 000 mais de bâtir, de peindre ou de sculpter pour les hommes du XX° siècle.
Car le monde moderne sait que sans l’art il crèvera encore plus vite de tous ses murs gris et de toutes ses machines automatiques.
Et il existe toujours une idée magique de l’art, une obscure croyance des hommes à la puissance du dessin et de la couleur (ces aviateurs qui peignaient sur leurs bombes des femmes en maillot de bain c’était encore de l’art ‑ made in USA il est vrai.)
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Il y a évidemment une hiérarchie des arts.
L’architecture est l’art roi, l’art clé, l’union de l’homme et de l’oeuvre dans un même élan où se rejoignent, en des lignes de plein ciel, le beau et l’indispensable. Le problème de l’habitation est peut-être le plus important à l’heure actuelle. C’est en grande partie l’endroit où nous vivons qui nous impose notre manière de vivre ‑ et partant de penser. Le premier effort de la jeunesse sera probablement de bâtir elle-même (qu’elle ne compte pas trop sur une officielle reconstruction) ses maisons et ses stades, ses écoles et ses églises... L’art, par l’architecture, reprend pleinement son rôle de nécessité vitale.
Mais l’architecture exige d’autres arts : le mur appelle le tableau, la fresque ou la tapisserie ; l’esplanade le géant de pierre ou la fée de bronze. Et des milliers d’hommes attendent de croiser leurs regards avec ceux d’autres hommes de toile, de laine ou de marbre.
Une galerie de peinture ou une exposition de sculpture sont bien peu de chose à côté de cet ensemble merveilleux et jamais réalisé de l’art total, de l’art entourant constamment les hommes de sa présence.
Il s’agit de créer entre la cathédrale et l’usine (entre les deux extrêmes de l’homme : le travail et la prière) la maison où il pourra vivre et les images qu’il pourra regarder.
Et à côté de cette œuvre gigantesque, à côté de la mission qui revient à ceux qui portent l’art en eux, toute une agitation "artistique" parait bien peu de chose. Du vent.
Du vent, les toiles de ces enfants vicieux ayant dépassé la trentaine et confondent naïveté avec impuissance, primitivisme avec infantilisme.
Du vent, ces croûtes que lèchent après tant d’autres les petits maîtres d’aujourd’hui, avides de sensations fortes et de barbouillages faciles.
Du vent, ces tableaux surréalistes qui accouplent avec obscénité le pompier de service et la psychanalyste de garde.
Et nous aimerions assez qu’un gouvernement soucieux des beaux ‑ arts et de la pérennité de l’humour inscrivit en lettres d’or au dessus des portes des musées : "Messieurs les peintres sont priés de laisser cet endroit aussi propre qu’ils l’ont trouvé en arrivant".
(à suivre)
Jean MABIRE
Dans nos prochains numéros
1 ‑ La technique, discipline et salut de l’art moderne.
2 ‑ Le passé n’est que la jeunesse.
3 ‑ De l’individualisme artistique à la communauté de travail.
4 ‑ Pour un art vraiment populaire.