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ART DE LA
JEUNESSE
Cette série
d’articles est destinée à servir de point de départ "doctrinal" à un
atelier d’art régional que nous espérons voir un jour se créer en Normandie.
Mais par
delà notre province ce message n’atteint il pas tous les étudiants d’art ?
C’est
pourquoi nous n’aborderons le problème purement régional qu’en conclusion de
cette étude.
Cette
chronique n’est pas un cours d’esthétique empaillé "à l’usage de la
jeunesse" par quelques théoriciens aussi gâteux que distingués.
Elle n’a
pas pour but d’imposer un dogme de l’art moderne, elle cherche simplement à
résoudre des problèmes urgents.
Un étudiant
d’art s’adresse à ses camarades et cherche quelques unes des conditions
techniques ou spirituelles de l’art de demain.
Ces notes
resteront peut-être parmi les étapes où la jeune génération artistique
reprendra souffle et courage avant d’inlassablement chercher dans le plus dur
des rocs les multiples profils de l’art d’aujourd’hui.
"VIKING"
L’art
s’enfonçant chaque jour un peu plus au coeur de notre vie pénètre le corps du
monde moderne par toutes les veines des formes, par toutes les artères des
couleurs. Et ce sang sans cesse renouvelé reste peut ‑ être le seul signe
extérieur de la vie. Nous sentons qu’entre le monde des cathédrales et le monde
des usines il y a tout un abîme ‑ patiemment préparé depuis la renaissance.
L’art peut aussi nous guider au dessus et par delà cet abîme. L’art n’a plus de
fin en soi ; il n’en a d’ailleurs jamais eu, hors de quelques manuels
d’esthétique.
L’art
aujourd’hui a une mission.
L’artiste
n’est plus ce jeune révolutionnaire romantique à cheveux longs et à gilet rouge
installé dans sa tour d’ivoire comme dans un fromage. L’artiste n’est plus ce
bohème pour qui la crasse tient lieu de génie et la peinture de négoce. L’artiste
n’est plus MOI-homme ; il est d’abord moi-CREATEUR.
L’artiste
est aujourd’hui un messager.
Ce n’est
pas un monsieur travaillant "parce que ça lui fait plaisir". L’art
n’est pas un passe-temps, et le peintre du dimanche n’est pas plus un artiste
que son confrère le pêcheur à la ligne.
Le but de
l’art est une élévation de l’homme.
En
transformant un bloc de pierre en statue, le sculpteur nous donne un exemple.
Son oeuvre doit respirer un tel essor que ceux qui la regardent soient, par
quelque phénomène de mimétisme, transformés à leur tour et deviennent
semblables à cette image de pierre dressée vers le ciel de tout l’élan de ses
muscles de marbre.
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Le premier
problème de l’art moderne est donc un problème humain. Là comme partout
ailleurs il faut créer ‑ où plutôt retrouver ‑ le vrai visage de l’homme.
L’artiste n’est pas un homme comme les autres, mais ce n’est pas non plus un
homme à part, hors du monde. L’artiste a son rôle dans la société. Il participe
à la hiérarchie de la cité et le don qui est à la base de son travail créateur
lui impose des devoirs.
D’abord
prenons conscience de la puissance et de la force de notre métier.
Ensuite
considérons notre travail comme une mission envers tous ceux qui attendent de
nous un message d’espoir.
Alors
seulement nous pourrons et délimiter la place de l’art dans la vie moderne et
chercher les facteurs essentiels d’une renaissance ‑ ou d’une continuité ‑ de
l’art national.
L’ART
MODERNE A LA RECHERCHE DE SON ESPACE VITAL.
La première
manifestation de l’art moderne est son irrésistible besoin d’expression. C’est
une caractéristique de notre époque. Chaque phénomène aspire à la totalité et
veut devenir la panacée universelle, le médicament pour toutes les bourses et à
toutes les sauces. Aujourd’hui, il faut bien l’avouer, nous n’allons plus vers
l’art, c’est lui qui vient à nous ; l’art ou sa caricature.
L’art aussi
est descendu dans la rue.
On ne cache
plus les chefs d’œuvre ; on les promène de ville en ville, de continent en
continent ; les musées se transforment en convois automobiles ; l’Europe
exporte des tableaux au même rythme qu’elle reçoit des tracteurs agricoles.
L’art
s’impose chaque jour davantage ; la renaissance de certains métiers artisanaux
alliée à un développement considérable des techniques jette de plus en plus
d’ouvriers valables et d’horreurs sur le marché. Dans le perpétuel échange de
l’art utilitaire (ou de l’utile artistique) c’est encore la même vitalité,
témoin de la volonté de recherche des artistes soucieux de mettre partout leur
grain de sel et leurs taches de couleurs.
La grande
expérience du XX° siècle à été d’ouvrir les portes des musées où les toiles
prenaient la poussière depuis quelques siècles ; l’art est fait pour être vu et
non pour être conservé. Il ne s’agit pas de provoquer l’admiration des
touristes de l’an 3 000 mais de bâtir, de peindre ou de sculpter pour les
hommes du XX° siècle.
Car le
monde moderne sait que sans l’art il crèvera encore plus vite de tous ses murs
gris et de toutes ses machines automatiques.
Et il
existe toujours une idée magique de l’art, une obscure croyance des hommes à la
puissance du dessin et de la couleur (ces aviateurs qui peignaient sur leurs
bombes des femmes en maillot de bain c’était encore de l’art ‑ made in USA il
est vrai.)
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Il y a
évidemment une hiérarchie des arts.
L’architecture
est l’art roi, l’art clé, l’union de l’homme et de l’oeuvre dans un même élan où
se rejoignent, en des lignes de plein ciel, le beau et l’indispensable. Le
problème de l’habitation est peut-être le plus important à l’heure actuelle.
C’est en grande partie l’endroit où nous vivons qui nous impose notre manière
de vivre ‑ et partant de penser. Le premier effort de la jeunesse sera
probablement de bâtir elle-même (qu’elle ne compte pas trop sur une officielle
reconstruction) ses maisons et ses stades, ses écoles et ses églises... L’art,
par l’architecture, reprend pleinement son rôle de nécessité vitale.
Mais l’architecture
exige d’autres arts : le mur appelle le tableau, la fresque ou la tapisserie ;
l’esplanade le géant de pierre ou la fée de bronze. Et des milliers d’hommes
attendent de croiser leurs regards avec ceux d’autres hommes de toile, de laine
ou de marbre.
Une galerie
de peinture ou une exposition de sculpture sont bien peu de chose à côté de cet
ensemble merveilleux et jamais réalisé de l’art total, de l’art entourant
constamment les hommes de sa présence.
Il s’agit
de créer entre la cathédrale et l’usine (entre les deux extrêmes de l’homme :
le travail et la prière) la maison où il pourra vivre et les images qu’il
pourra regarder.
Et à côté
de cette œuvre gigantesque, à côté de la mission qui revient à ceux qui portent
l’art en eux, toute une agitation "artistique" parait bien peu de
chose. Du vent.
Du vent,
les toiles de ces enfants vicieux ayant dépassé la trentaine et confondent
naïveté avec impuissance, primitivisme avec infantilisme.
Du vent,
ces croûtes que lèchent après tant d’autres les petits maîtres d’aujourd’hui,
avides de sensations fortes et de barbouillages faciles.
Du vent,
ces tableaux surréalistes qui accouplent avec obscénité le pompier de service
et la psychanalyste de garde.
Et nous
aimerions assez qu’un gouvernement soucieux des beaux ‑ arts et de la pérennité
de l’humour inscrivit en lettres d’or au dessus des portes des musées :
"Messieurs les peintres sont priés de laisser cet endroit aussi propre
qu’ils l’ont trouvé en arrivant".
(à suivre)
Jean MABIRE
Dans nos
prochains numéros
1 ‑ La
technique, discipline et salut de l’art moderne.
2 ‑ Le
passé n’est que la jeunesse.
3 ‑ De
l’individualisme artistique à la communauté de travail.
4 ‑ Pour un
art vraiment populaire.